Michel Klinger (Kitewer), À propos de Sainte jeanne, Infante du Portugal, Vol. VI, pp. 278-281

À PROPOS DE SAINTE JEANNE,

INFANTE DU PORTUGAL

(FRAGMENT PSYCHOLOGIQUE)


Ainsi fait le marteau:
      Le verre il casse
      L'acier il forge
                  (A. POUCHKIN).


C'est à minuit, que je veux
Te célébrer...
                  Libre traduction Ps. 92, 3.

 

JAMAIS on n'avait un tel besoin de fouiller dans l'histoire comme aujourd'hui. Est-ce, parce que nous sommes des témoins vivants de grands cataclismes mondiales, ou peut-être, parce que nous cherchons des réponses dans le passé sur tant de questions incomprises de nos jours?   Οϋδέν όςίζω!

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Mes pensées me rejettent dans le XVème siècle. Moyen-âge en plein. Les grands navigateurs et colons Portugais battent leurs récords. On rivalise dans les aventures. Des bateaux naviguent dans les mers inconnues. Ces entreprises ont deux buts. Premièrement − découvrir. Deuxièmement − acquérir les richesses de nouveaux pays. L'initiative provient d'habitude de la cour avec la bénédiction du Pape, pour combattre les infidèles. Des Princes assoiffés de gloire, accompagnés de chevaliers de l'Ordre du Christ, sont les principaux entrepreneurs.

Le soldat, le marchand, le navigateur sont tous possédés par une seule idée: Acquérir! − La gloire − le premier, l' or / 279 / − le second, les deux ensembles − le dernier. L'aventure nourrie par l'intrigue, esprit guerrier camouflé par prosélytisme, le droit du plus fort, phantasmagorie et prestidigitation avec leurs maîtres charlatans et jongleurs, remplissent les pages obscures de I'histoire du moyen-âge.

Sombre minuit...

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L'horizon s'éclaircit pour un moment. Une grande étoile apparaît sur le firmament, qui brillera bientôt sur le continent: lnfanta Santa Joana (La Bienheureuse Jeanne du Portugal).

Sainte Jeanne! Sou désir était d'être une soeur parmi les autres et au fond de son âme elle l'était. Mais par ordre de son père le roi Alphonse V, le titre d'Infante lui reste. Et pourtant elle aurait été heureuse de s'appeler simplement Jeanne − Jeanne d'Aveiro.

Reprenons un peu I'histoire. Une fille de roi, de 19 ans, (Alphonse V a du succès dans ses entreprises pendant son règne) qui est héritière du trône, dotée par la nature d'une beauté rare, ayant de propositions de mariage dans diverses maisons royales de l'Europe (n'oublions pas que nous écrivons sur le calendrier 1471), résigne de tous ces honneurs et richesses, et entre, abandonnant tous et tout, dans un Monastère qui a la réputation d'être le plus rigoureux de son temps, le Couvent de Jésus, d'Aveiro. Quelles sont ces fortes raisons qui la poussent vers ce pas?

Déception'? − Non! Aventure amoureuse? − Non! Repentance de ses péchés? − Elle n'en a pas! Névrose religieuse alors? Peut-être! Mais son désir d'accomplir cet acte nous montre cette profonde passion qui n'est pas un phénomène pathologique. Presque tous les Saints luttent contre le démon, pendant que son extase religieux n'a rien du mauvais génie, sauf la forme extérieure. Et puisque j'ai mentionné ce grand sentiment, je me permettrais de dire que seulement la croyance profonde, absolue, peut jouir d'une révélation, qui conduit vers l'extase. Une fois cette limite passée, on considère ce monde comme passager et provisoire, et ce n'est que la vie future, qui apportera l'ordre bénie par Lui. lci commence la dissemblance de rapport au monde terrestre. Conséquence: Renoncement de ce monde et concentration totale sur sa tâche religieuse. De ce moment le personnage s'impose à l'attention de son entourage et oblige de reconnaître sa supériorité.

Quels sont les éléments psychologiques qui conduisent Jeanne vers cette échelle? − Les mêmes qui sont le résumé de chaque grande affectation de piété, toutefois marquée par / 280 / des traits caractéristiques de sa personnalité, son sang, ce sang qui est le même qui a coulé dans les veines de son oncle Don Fernando, le noble martyr de Fez...

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Plusieurs sont les chemins, qui mènent vers la dévotion.

La pensée (rationalisme), décision de volonté (volontarisme) et le sentiment (romantisme). La séparation de ces qualités mentionnées est le problème d'une analyse scientifique de facto ils s'unissent toujours et créent ensemble la piété. Séparée, chacune de ces valeurs spirituelles entraîne vers une tendance exclusive. Pensée-dogme, volonté-fanatisme et ascétisme, sentiment-enthousiasme, vision. Même si la vie de Jeanne est fortement marquée par une volonté fanatique (*), nous trouvons chez elle en large mesure les autres valeurs citées, ainsi qu'une grande naïveté du coeur, qui unies font la grande création de Piété. Les forces puissantes et invisibles qui accompagnent chaque croyance commencent leur oeuvre. Les impures, ils déforment dans une créature pathologique, maladive. La crainte de Dieu, ce sentiment morale si prodigieux et surnaturel les jettent dans un empire des ombres. Les expressions de leur souffrance sont les orgies. Pendant que la peur religieuse se transforme chez les élus en vénération et humilité devant l'Éternel, la chaste timidité (le sentiment provenant des sources naturelles de profanes) avec la crainte de culpabilité se transforme en désir ardent de délivrance, passant par la repentance et la conversion. Celle-ci dirige vers les sentiments supérieurs d'un rapprochement de Lui: Amour et rejouissance de l'Immortel, cérémonie, bénédiction, recueillement, gratitude, mise de sa confiance en Dieu. Telles sont les vibrations d'une âme humaine, à qui cette ascension est accordée par faveur de la Nature. Telles sont aussi les motifs déterminant la vie de Jeanne. L'opposition et la résistance de son entourage ne brise pas sa décision. Au contraire. Elle réveille le goût pour la lutte d'atteindre son idéal, qui est né dans le sentiment le plus élémentaire − la peur. Superlativement: effroi, qui fait frémir devant l'incompris et inquiétant inconnu «Divinité». Cette / 281 / angoisse troublante, on la trouve dans les expressions des visages des idoles primitives, comme nous la rencontrons dans l'Ancien Testament sous le terme biblique PACHAD, la frayeur d'Isaac (Gen. XXXI-42).

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C'est dans cette direction que mes pensées m' ont conduit pour trouver une explication de cette vie pleine de vertu. On comprendra facilement porquoi Jeanne la Princesse a accepté avec joie les souffrances terrestres, sentant dans sa subconscience sa liaison avec l'Univers Divin. La nature faible, l'homme mortel, se heurtant à de tels obstacles comme Jeanne, se briseront en petites résignations. Elle, elle les surmonta, en forgeant son immortalité comme tous les Saints passant tête haute par le chemin des épines.

C'est dans le sombre minuit du moyen-âge, qu'elle s'unit avec l'éternité et devient par sa conduite

μεσίτης δεοϋ καί άνδςωπων

 

Coimbra, Novembre 1940.

MICHEL KLINGER (KITEWER)

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(*) − flagella itidem iam incruenta, quam quae sanguinem elicerent (v. Anacephalaeoses... avctore P. ANTONIO VASCONCELLIO; Coimbra, 1793. Joanna Lusitaniae Princeps, page 412).

Et aussi:

− tomãdo de cõtinu muy fortes deciplinas de Corda e de sangue ë algüas festas e dias é que tinha mais spicial devacõ. (v. Crónica da fundação do mosteiro de Jesus... e memorial da lnfanta Santa Joana..., manuscrit contemporain publié par ROCHA MADAHIL, Aveiro, 1939; page 83).

 

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