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LE MUSÉE D'ART CONTEMPORAIN
Installé dans une dépendance de l'École des Beaux-Arts – assez mal
installée elle-même dans un ancien couvent de cordeliers – le Musée
National d'Art Contemporain est de fondation récente.
Il date en effet de 1911, d'une époque de réformes qui suivit
immédiatement la proclamation de la République. C'est alors qu'on a
séparé l'Art Ancien de l'Art Moderne, ou mieux, qu'on a exclu du grand
Musée d’Art de Lisbonne les œuvres postérieures à 1850.
Cette division, quelque peu arbitraire, ne correspondait à aucune époque
bien définie mais offrait des avantages pour certains aspects
administratifs des choses de l'Art.
Faute d'un bâtiment approprié, on a adapté à cet usage quelques salles
appartenant à l'ancienne Académie des Beaux-Arts, en y ajoutant
plusieurs œuvres de l'École, telles que des envois de boursiers, des
preuves de concours, etc.
De nouvelles acquisitions sont venues enrichir, lentement, la collection
exposée, laquelle ne tarda pas à se trouver à l'étroit dans ce cadre
forcément provisoire. Bref, on a officiellement reconnu l'insuffisance
des installations actuelles et un nouveau Musée d' Art Contemporain est
à l'étude en ce moment.
Nous n'aurons, donc, plus à insister sur la pénurie et l'exigüité de ce
Musée.
Il se compose aujourd'hui de cinq salles de peinture, – plus une petite
salle pour l'aquarelle et une autre pour le pastel, – et d'une galerie
qui réunit la plus grande partie de la sculpture.
Une autre vaste salle, destinée aux jeunes
peintres des dernières générations, est sur le point de s'ouvrir au
public.
SALLE I
La première salle, en entrant, contient un ensemble des plus anciennes
œuvres de ce Musée, les romantiques de la dernière heure.
Une Vierge à l'aspect raphaélique semble y présider, haut sur le mur.
C'est l'œuvre d'un professeur de l'École des Beaux-Arts, A. M. Teixeira,
qui a eu pour élèves la plupart des autres peintres représentés dans
cette même salle:
Miguel Angelo Lupi, professeur, lui aussi, à son tour, et portraitiste
de haute valeur, comme en témoigne, plus que ses grandes compositions
d'histoire, ce profond portrait de la Mère de Sousa Martins,
exposé dans la salle suivante (Voir planche N.º 3); F. Metrass, avec ses
compositions d'un académisme posé; T. d'Anunciação, professeur de
paysage à l'École de Lisbonne et un,
remarquable animalier qui nous présente ici, entre autres, cette
admirable toile Vitelo (Le Veau) (Voir planche N.º 4);
Christino est, à cette époque, un honnête peintre, dont un grand paysage
des environs de Lisbonne montre la vigueur.
Quelques peintres de second ordre, tels que J. Rodrigues, Leonel, M. M.
Bordalo, Patrício et Chaves y font chorus.
À coté de ces petits maitres secondaires, deux amateurs de haut rang
brillent: Le Vicomte de Menezes, auteur de ce charmant grand
tableau représentant sa femme en crinoline (Voir planche / 18 / N.º 5)
et Alfred Keil, compositeur et poète aussi, dont le Retour du
Pèlerinage exprime avec bonheur l'heure de la tombée du soir à
la montagne. Nous reproduisons ici un de ses tableaux de jeunesse (Voir
planche N.º 6).
Finalement, un grand seigneur de la peinture et de l'architecture,
Andrade nous donne, avant 1863, avec Matin, rebaptisé de
Le Marais, une vision de grand air à contre-jour, qui est
en avance sur les impressionnistes français.
SALLE
II
Côte à côte, quelques maitres français et portugais de la fin du XIXe
et nos contemporains.
Un Drame de la Terre (Voir planche N.º 16) nous parle
discrètement de cet art au rude accent de terroir, naturaliste, à la
manière de Bastien-Lepage, de même qu'une œuvre, à la touche fraiche,
d'Albert Besnarel y représente le coté virtuose de l'impressionnisme
(Voir planche N.º 15).
Un portrait de Bonnat n'ajoute rien à sa
trop grande réputation; plus loin, une scène au bord de la mer, d'un
équilibre et d'une finesse rares, Le Bateau disparu (Voir
planche N.º 11) est l'œuvre d'un artiste portugais vivant, représenté au
Luxembourg, Sousa Pinto.
Le maitre Jean-Paul Laurens a ici une de
ses correctes et froides compositions entre un
excellent Paysage d'un peintre presque oublié, Defaux, et une œuvre de
jeunesse de ce grand peintre du plein air qu' est Silva Porto:
Rives de l'Oise. C'est un de ses envois de boursier.
L'œuvre de Silva Porto, très nombreuse et d'une qualité rare, se trouve
aujourd'hui représentée au Musée par cinq ou six pièces éparpillées.
Dans cette même salle, on voit une charrette aux champs (A.
Sa1meja), et un tout petit paysage. Dans la salle suivante, il y
a, de ce même peintre,
une scène de paysannerie, prise sur le vif et largement brossée,
Retour du Marché, à coté d'une
émouvante Fileuse, dont l'étude préparatoire au crayon se
trouve également au Musée.
Une toile d'António Ramalho, délicate et sûre, nous fait voir le
sculpteur A. Nunes au travail. Quelques portraits par Malhoa et V.
Salgado, une petite étude à l'huile d'un beau dessinateur, jadis
professeur à l'École des Beaux-Arts de Porto, Marques de Oliveira (Voir
planche N.º 10), deux autres portraits et une grande étude de
Nègres, par M. A. Lupi, complètent l'harmonieux ensemble.
SALLE III
Cette salle, aux œuvres plus récentes en général, outre les deux Silva
Porto déjà mentionnés, contient quelques toiles de grandes dimensions,
telles que: La Foire de Carlos Reis, le maitre paysagiste
dont on voit à la salle suivante deux compositions de figure (Voir
planche N.º 12); Amour et Psyché, clair et doucereux, par
l'ancien professeur V. Salgado (1892); sont encore de lui et de la même
époque l'Église Abandonnée (Voir planche N.º 12) et la
scène bretonne Au Cimetière.
Une Désolation, du professeur L. Freire mérite bien ce
nom; la Femme allant à la fontaine, de Condeixa joue aux
quatre coins en face de deux Marines de João Vaz (Setubal)
et Falcão Trigoso (Algarve).
Dórdio Gomes, avec sa Sieste des Moissonneurs a brossé une
puissante petite étude où se concentre l'émotion des vastes plaines
d'Alentejo; et, finalement, un peintre très sérieusement doué et que la
mort a ravi assez jeune, Constantino Fernandes, est représenté là par
une Tête de Femme et un grand triptyque de la vie du
Matelot où l'on admire une technique calme et très / 19 /
sûre. C'est encore de lui le Portrait du Père de l’Artiste,
qui se trouve à la salle suivante (voir p. 14).
Au milieu de la pièce, une magnifique réplique en bronze du premier
grand travail de Rodin, L'Age d'airain.
SALLE IV
On trouve ici, tout ensemble, d'immenses «machines» d’atelier de plus de
dix mètres carrés et de petites pochades nerveusement prises sur le vif.
Le regard est immédiatement sollicité par ces vastes surfaces brossées
avec le souci de l'effet
théâtral: à droite, c'est Othelo et Desdémone, par
l'espagnol Muñoz Degrain, riche en détails mais bien pauvre de tout ce
qui fait le prix d'une véritable œuvre d'art.
À gauche, une honnête grande illustration de Condeixa cherche à nous
donner le frisson avec la La Mort du Prince dom Alphonse,
le fils du roi Jean II; pendant que l'ancien professeur J. de Brito nous
met, plus loin, devant une scène grandguignolesque de l'Inquisition.
À la place d'honneur, l'œuvre peut-être la plus forte et la mieux
composée de José Malhoa, ce tableau de buveurs Fêtant la Saint
Martin, que nous reproduisons (voir p. 13). Du même peintre sont
encore le petit paysage pointilliste Automne et un plein
air Potirons.
Artur Loureiro était un peintre d'une grande fraicheur de palette dont
le Musée possède quatre toiles: deux dans cette salle et les deux autres
sur le mur d'un escalier (voir p. 10).
Antonio Carneiro, un peintre doublé d'un poète, dont le Musée possède
une de ses admirables sanguines,
n'est représenté dans la peinture que par une toile: Compagnons.
Sousa Lopes, l'actuel directeur de ce Musée, nous montre ici trois
toiles: Intérieur d'Atelier, Effet de Lumière
(voir p. 15) et un paysage de Venise, des œuvres de
jeunesse, qui préludent à une belle œuvre vaste et variée.
Encore quelques paysages aérés de Alves Cardoso, Antonio Saúde et João
Reis; un Pierrot agréable d'un jeune peintre mort trop
tôt, Bonvalot; et une Nature Morte d'une mauvaise époque
de ce fort et changeant E. Viana.
SALLE COLUMBANO
C'est l'ancien atelier du professeur Columbano; on voit aujourd'hui une
véritable rétrospective de son œuvre, une trentaine de toiles.
Cet ensemble, savamment disposé, renferme des œuvres qui comptent parmi
les meilleures de
ce maitre: depuis La Dame au Gants Gris (1881), une des
premières affirmations de ce beau talent, jusqu'au Portrait du
poète Teixeira de Pascoaes (Voir p. 14) de sa dernière manière,
lorsque le peintre cherchait, à renouveler sa discrète palette.
On y voit aussi son magnifique Concert d'amateurs, (Voir
planche N.º 9) brossé avec un grand brio. Exposé au «Salon» de 1833, il
ne manqua pas d'y être signalé par la critique française.
C'est, d'ailleurs, resté le chef-d’œuvre de ce grand peintre aux
couleurs sombres, au dessin subtil et sagace.
LA SCULPTURE
Dans une galerie, à droite, se trouve la plus
grande partie de la sculpture de ce Musée.
On y a réuni des œuvres de sculpteurs portugais des derniers cinquante
ans.
Citons d'abord le beau plâtre moulé sur le
premier original de ce véritable chef-d’œuvre de / 20 / l'art portugais,
L'Exilé de Soares dos Reis (voir p. 18). C'est le premier
état d'une statue d'une qualité incomparable, dont le marbre définitif
se trouve au Musée de Porto.
En assez mauvais état et mal placé ici, dans un coin où l'on ne peut le
regarder que d'un seul côté, ce plâtre original de L'Exilé
est une pièce qui mérite, au contraire, de se trouver au milieu d'une
rotonde, tant ses différents profils se renouvellent en contours de
beauté.
Face à l'entrée de la galerie sont deux autres œuvres de ce grand
statuaire: Le Buste de Mrs. Leech et La Petite
Comtesse d'Almedina, deux marbres magnifiquement travaillés;
dans la salle II, le merveilleux Buste de la Comtesse de Moser;
et, à l' entrée d'un couloir sombre, un bronze expressif, une Tête
de Nègre, suffisent à donner une idée de la haute valeur de ce
grand artiste, qui s'est suicidé assez jeune, après avoir produit une
œuvre hors ligne.
Pour suivre l'ordre chronologique, passons à Albert Nunes, dont
L'Enfant Prodigue, travail de l´Ecole, et une Poésie
Lyrique, montrent ses qualités de finesse.
Du vieux professeur Simões d'Almeida, deux marbres: Marguerite
et D. Sébastien ainsi que le bronze Puberté,
au dessin gracieux d'un gout classique (voir p. 19). Simões Sobrinho,
professeur lui aussi, est l'auteur du bas-relief Nymphes du
Mondego, (voir p. 21) d'une tête de Vieille Femme
et du bronze Enfance.
Teixeira Lopes, professeur à l'École de Porto, est un maitre statuaire,
comme en témoigne son groupe La Veuve (voir p. 20) et le
Buste d'Auguste Rosa.
Un travail de jeunesse d'un sculpteur de
talent, mort sans guère laisser une œuvré, est cet
Ismael (Voir p. 22).
Costa Mota, (l'oncle) est l'auteur de la svelte statuette
Bernardin, de Méditation, d'une Tête de
Vieille Femme en marbre, ainsi que du portrait du peintre
Malhoa reproduit ici (voir p. 21).
Costa Mota Sobrinho a envoyé, de Paris, alors qu'il était encore
boursier, un grand nu vigoureux: S'apprêtant à la lutte;
de son œuvre plus récente est le buste Rosita (voir p.
22).
Un pauvre groupe Sans Gîte et Sans Pain de Moreira Rato,
est venu s'abriter dans ce Musée, de même que Caïn et un
buste qu'un hasard mal encontreux a placé à côté d'un chef-d’œuvre de
Soares dos Reis.
Trois sculpteurs que la mort a fauchés en plein talent: Francisco
Santos, Tomaz Costa et Anjos Teixeira se trouvent assez bien représentés
ici. Le premier, avec une grande statue Crépuscule; une
gracieuse Salomé et une Bachante.
Tomaz Costa, sensible et élégant, fait penser à Falguière dans son
Ève et à Carpeaux avec le Danseur (voir p. 20).
Anjos Teixeira nous montre une œuvre de jeunesse, Imprécation;
une poissonnière Après la Vente, et une de ses heureuses
esquisses. Le Faune et la Nymphe.
Le Faune
du jeune professeur Leopoldo d' Almeida (voir p. 24) et un beau
Torse de Diogo de Macedo sont des dernières acquisitions.
Francisco Franco, un statuaire de style, à la fois archaïque et très
moderne, n'a ici qu'un Buste du peintre Manuel Jardim. Il
a exercé une profonde influence sur la génération qui le suit et qui
compte des valeurs telles que ce Rui Gameiro, trop tôt disparu, Barata
Feio et António Duarte, dont le Musée possède des œuvres non exposées
encore.
J. de B.
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