LE MONASTÈRE DE LA «MADRE DE DEUS»


La fondation du couvent de la « Madre de Deus) – lisez Mère de Dieu – remonte aux premières années du XVe siècle.

C'est en 1509 que la reine blanche Léonor, veuve du roi Jean II, décide de construire une retraite spirituelle où elle finirait ses jours et choisirait sépulture «comme pauvresse» dans un coin du cloitre, sous une dalle sans ornement, que les pieds fouleraient.

Sur le déclin d'une vie alors calme et pieuse, mais jadis secouée par des luttes tragiques et des deuils cruels, la reine veuve était vouée tout entière à des œuvres d'assistance et de pitié. Après avoir vu tomber, poignardé par le roi son mari, son propre frère le duc de Viseu, son beau-frère le duc de Bragança dont la tête avait roulé sur L’échafaud, convaincus tous deux de conspirer contre la personne du roi, elle connut la douleur de perdre son fils unique, l'héritier du trône, mort d'une chute de cheval, en pleine jeunesse. Quelques années après, c'est son royal époux lui-même qui succombe, à la suite d'une maladie longue et impitoyable, provoquée peut-être par le poison, loin de la cour et de la reine, que certains ont même soupçonnée d'avoir trempé dans la conspiration.

Après la mort du roi en 1495, la reine Léonor abandonne la vie brillante de la cour, l'éclat de ses fêtes, pour se donner à la tâche chrétienne de secourir les pauvres et les malades, les orphelins et les malheureux. Vers 1498, elle fonde à Lisbonne cette institution qui devrait proliférer dans tout le pays, les «Miséricordes», qui vivent encore de nos jours et dont les racines ont poussé jusque dans les colonies et au Brésil.

C'est dans ce désir d'une vie édifiante et féconde par la charité qu'elle cherche asile dans un couvent de franciscaines, qu'elle institue et où sa vie se déroulera désormais, sans toutefois quitter le monde, car le développement de ses œuvres y l´appelait encore.

En 1509, donc, ayant fondé un modeste couvent et une petite église, la reine Léonor y installa sept nonnes. La première abbesse, une grande dame de sa famille, git à ses côtés, dans un coin du cloitre renaissance, entre les emblèmes de la reine – la nasse du pêcheur où fut recueilli le cadavre de son fils unique – et le pélican symbolique qui se saigne la poitrine pour nourrir ses petits – emblème du roi Jean II.

Mais ce grand cloitre renaissance, d'une remarquable noblesse de lignes, – le premier étage en larges arcades de plein cintre, l'étage supérieur constitué par une colonnade à trois intervalles entre chaque pilier, est déjà postérieur à la première installation.

Nous savons que l’église du couvent fui inaugurée exactement le 10 juin 1509 et le style classique de ce cloitre toscan est là pour nous assurer qu'il date, sans nul doute, de quelques 25 ans plus tard. / 16 /

Des témoignages multiples nous disent d'ailleurs que sous le roi Jean III, neveu de la reine Léonor, l’œuvre a été largement augmentée et modifiée même dans sa partie manuéline. Puis, 1e tremblement de terre de 1755 a endommagé à tel point les constructions du XVIe siècle, que la reconstruction postérieure ne laisse pas deviner ce qui a pu être la première «Madre de Deus». Seule la tour garde la forme et l'emplacement primitifs. Le portail sud lui-même n'est qu’une reconstitution récente, malheureuse d'ailleurs, du portail manuelin qu'on peut voir peint sur un des volets du triptyque de St.e Auta (Voir planche21).

Il faut s'en rapporter à une gravure de Stoop, exécutée vers 1640, pour se faire une idée de ce qu'était alors ce couvent installé sur la plage du Tage et si près de ses eaux que quelques fois les fidèles en entrant y étaient fouettés par les embruns.

Le petit cloitre (Voir planches 3 et 4), quoique entièrement refait au XIXe siècle, et malgré les stucs qui recouvrent ses voussins, garde dans les proportions et les lignes générales quelque chose de son charme premier. Le restaurateur romantique n'a rien trouvé de mieux à mettre, dans un de ses chapiteaux gothiques, qu'une locomotive, – le dernier cri du progrès.

Avant d'entrer dans l’église actuelle, il faut traverser plusieurs annexes, tels que: la chapelle de St. Antoine (voir planche 5), pièce rectangulaire, avec, à l’une des extrémités, l’autel consacré au thaumaturge né à Lisbonne. Les murs sont revêtus de ces agréables peintures bleues sur faïences qu'on appelle «azulejos», jusqu'à mi-hauteur.

La partie supérieure, ainsi que le plafond, en boiserie, comprend une série de tableaux du XVIIIe, représentant la vie de St. Antoine.

L'avant-chœur, qui suit, est de la même époque. On y accède au chœur supérieur (voir planches 6 à 11) vaste pièce entièrement recouverte de peintures, depuis les stalles jusqu'au sommet du plafond polyédrique.

L'ensemble est d'une opulence rare: – boiseries sculptées, panneaux peints, une multitude de précieux reliquaires, de toutes formes, parquets polychromes en bois des iles, – constitue un exemplaire typique de ces intérieurs de couvents enrichis par la faveur royale, dans ce pays.

Quelques-unes de ces peintures sont même des pièces de haute valeur, de véritables pièces de Musée.

Citons parmi celles-ci les portraits du roi Jean III, avec Saint jean, d'un côté (voir planche 10); et, en regard, le portrait de la reine sa femme, Catherine, sœur de Philippe II d'Espagne (voir planche 11), agenouillés, dans l’attitude habituelle des donateurs, priant les mains jointes.

Ces deux pièces, de l’école portugaise du XVIe, sont attribuées à Cristóvão Lopes.

Dans ces mêmes coins, des deux côtés de la large baie qui s'ouvre sur la nef de l’église, une série de grands panneaux, provenant sans doute d'un grand retable disjoint d'un grand maitre portugais du début du XVIe, non identifié d'une manière sûre, représentent: – l’Annonciation et l'Adoration des Mages (voir, planche 9); la Remise de la règle de l'ordre à Sainte Claire, (voir planche 10) du Côté de l'Évangile; du côté de L’Epitre, encore une Pentecôte de la même série.

Dans le même coin se trouve un vaste panneau qui semble bien avoir été offert à la Reine Léonor par l’empereur Maximilien et qui représente un Panorama de Palestine, d'après la tradition, mais qui devait plutôt s'appeler Jérusalem et le Calvaire, car on y voit, en effet le temple de Salomon, tel que les primitifs le figuraient, les lieux attachés à la vie du Christ et, sur le haut de la composition, le profil / 17 / du mont Golgotha, avec la scène du Crucifiement (voir planche 23).

Sur le premier plan de ce panneau on a ajouté, d'une main moins fine, un portrait de la reine Léonor, en noir et la tête enveloppée. Les espaces vides indiquent l'ancien emplacement de trois panneaux retirés par la Direction des Musées.

Passons sous silence les nombreux reliquaires dont l'un aurait contenu une épine de la couronne de Jésus, l'autre le saint suaire lui-même.

À l’étage inférieur nous nous trouvons dans l’enceinte de la première église. C'est aujourd'hui une sorte de nartex, rempli de peintures anciennes, des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Mais si mal éclairées qu'on peut à peine les distinguer (voir planche 12). Quelques tombes aux inscriptions gothiques attestent l’âge de ce lieu.

La nef de l’église actuelle se trouve dans le prolongement de ce nartex, mais sur un plan plus élevé, que quelques marches franchissent.

L'impression de richesse décorative subsiste, (voir planches 13 et 14) mais l'ambiance est toute XVIIIe siècle: Deux énormes panneaux d'«azulejos» couvrent jusqu'à mi-hauteur les murs, qu'entourent les boiseries rococo d'une chaire et d'une porte à doubles battants, puis une balustrade aux piliers de marbres cloisonnés sépare la nef du maitre-autel; la partie élevée du temple est recouverte de boiseries sculptées qui contiennent de nombreuses peintures, le tout refait après le tremblement de terre de 1755.

Les peintures en sont souvent antérieures et quelques-unes ne manquent pas de mérite.

Remarquons surtout quelques débris de retables du début du XVIe siècle, qui se trouvent enchâssés dans l'architecture classique un peu chargée du maitre-autel (voir planche 15).

Au fond de l’église, à gauche, une tribune royale (voir planche 16). Finalement, par une petite porte à droite, on accède à la sacristie (voir planche 24), pièce aux dimensions réduites mais remplie de joyaux d'art.

Sur un vaste meuble XVIIIe se trouvent notamment plusieurs petits panneaux primitifs, du début du XVIe siècle, parents proches de cet admirable triptyque de St.e Auta – (l'une des 11.000 vierges de la Légende Dorée, dont le corps appartenait. à ce couvent) et qui a pris part à l’exposition de l'Art Portugais au Jeu de Paume en 1931.

Ce triptyque n'est pas retourné à Madre de Deus, mais on peut l'admirer au Musée d'Art Ancien de Lisbonne.


 

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