UNIVERSITE DE LA SORBONNE NOUVELLE PARIS III
U. F. R. D’ETUDES IBERIQUES ET LATINO-AMERICAINES

ECOLE DOCTORALE
EUROPE LATINE - AMERIQUE LATINE
ED 122

RESUME

 

THESE POUR LE DOCTORAT
(Arrêté du 30 mars 1992)

Discipline: ETUDES LUSOPHONES

Madame DE ALMEIDA MALAQUIAS VOUILLOT Eunice

MARIO SACRAMENTO
UN AUTEUR NEO-REALISTE PORTUGAIS
(1920-1969)

LA VIE ET L’OEUVRE

 

 

   Thèse dirigée par Madame le Professeur Anne-Marie QUINT

   Date de soutenance:
   LE 14 DECEMBRE 2002.

  

2 VOLUMES
649 pages

 

 

Cette biographie se compose de quatre parties. L’itinéraire de Mário Sacramento est tracé le long des trois premières, la quatrième est consacrée à la présentation de ses oeuvres de création.

La première partie suit la vie de Mário Sacramento depuis ses origines familiales jusqu’au premier cycle d’études médicales la deuxième partie, retrace sa vie littéraire, ses premiers essais, son action politique au sein du “MUD Juvénile” à la Faculté de Médecine de Lisbonne, son retour comme médecin dans sa province où il mène de front I’exercice de sa profession, des activités littéraires et une action politique sanctionnée par un deuxième emprisonnement la troisième partie retrace les onze dernières années de la vie de l’essayiste. Afin de comprendre son évolution comme néo-réaliste, nous avons assemblé ses multiples recensions par thèmes: le premier chapitre présente les travaux sur les auteurs qui ont précédé le Néoréalisme, et se termine par le stage de Mário Sacramento à Paris en gastro-entérologie le deuxième chapitre rend compte des oeuvres de fiction et de poèmes néo­réalistes, objets de l’intérêt de l’essayiste; couronné par une “lettre-testament” le troisième chapitre rassemble les textes de Mário Sacramento sur l’art et ceux qui traitent de ses convictions politiques et humanistes. La quatrième partie présente I’écrivain: cinq pièces de théâtre; des contes écrits depuis I’adolescence pour la plupart inédits; et son journal intime.

Intitulée “De l’âge de I’innocence à une vie d’essayiste”, la première partie, concerne la période allant de 1920 à 1943. Né le 7 juillet 1920 à Ílhavo, petite ville côtière du district d’Aveiro située à 70 kílomètres au sud de Porto, Mário Emílio de Morais Sacramento était I’aîné des deux enfants d’Artur Rasoilo Sacramento et de Rita de Morais Sarmento. Artur Sacramento exerçait la profession de commissaire de bord, ayant suivi la tradition maritime de la plupart des habitants d’Ílhavo. N’ayant pu devenir institutrice comme elle le souhaitait pour des raisons financières, Rita Sacramento s’est consacrée à I’éducation de ses deux enfants qui ont tous deux obtenu des diplômes universitaires. Dans la branche maternelle, il existait une forte tradition libérale: deux arrière-grands-oncles de Rita ont payé de leur vie leur attachement à la liberté pendant les luttes contre I’absolutisme en 1828. lis avaient combattu aux côtés du grand-père de I’écrivain Eça de Queirós et de José Estêvão, homme d’Etat libéral originaire d’Aveiro et dont la femme était la marraine de Rita Sarmento. Dans les annexes, une généalogie permet de situer Mário Sacramento au sein de sa famille.

Pendant les longues absences en mer de son père, Mário Emílio restait avec sa mère et allait souvent chez sa grand-mère Sarmento qui vivait à Aveiro et qui lui racontait I’épopée libérale familiale. Élève de I’Ecole Primaire, le garçon accompagnait parfois son père dont il admirait le courage comme pompier volontaire lorsqu’il était à terre. Ainsi, I’enfance de Mário Sacramento s’est nourrie d’exemples courageux d’humanisme dans sa propre famille.

Selon le témoignage de sa sœur, le passe-temps favori de Mário Emílio était la lecture. Ses parents ne comptaient pas le temps qu’il passait enfermé dans la bibliothèque d’Artur Sacramento qui partageait avec son fils la même passion des livres; il lui laissait le libre accès aux centaines d’ouvrages portugais et étrangers qu’il possédait.

C’est à I’Ecole Primaire que Mário Sacramento assiste aux débuts de la dictature de Salazar en 1928. L’entrée au Lycée d’Aveiro en 1931 ouvre des perspectives d’épanouissement au jeune homme avide d’apprendre. Élève de José Pereira Tavares, remarqué par Agostinho da Silva, Mário Sacramento est un élève brillant en Littérature, ce qui lui vaut le prix de la «Sociedade dos Antigos Alunos» décerné par ses professeurs en 1937. Ayant pris connaissance du petit journal "O Furão" que Mário Sacramento confectionnait, José Pereira Tavares et Agostinho da Silva le convient à diriger, à I’âge de quatorze ans, le journal du Lycée intitulé A Voz Académica. Les éditoriaux pacifistes du jeune homme sont enflammés, il cite souvent Romain Rolland et défend des idées glanées dans le journal de gauche de “littérature et critique” O Diabo. En même temps, il rassemble des jeunes de condition modeste à Ílhavo, il partage avec eux ses connaissances et leur enseigne I’espéranto qu’il a appris par lui-même. D’ailleurs, II a traduit en espéranto Volta ao Mundo (1939) d’Agostinho da Silva, livre qu’il a intitulé La Arenoj, resté inédit. Le jeune homme a des penchants subversifs. Les activités et les écrits de Mário Sacramento ne plaisent pas à la police politique (PVDE): les réunions du groupe de jeunes à Ílhavo sont interdites et la publication d’A Voz Académica est suspendue à partir de janvier 1938. Le 10 juin 1938, jour de la Fête Nationale, la PVDE investit le foyer des Sacramento et emmène l’adolescent au siège de Porto pour interrogatoire. Mário Sacramento est enfermé dans un réduit obscur pendant une semaine et subit la torture morale et la privation de sommeil. N’ayant rien trouvé contre lui, la police le libère, mais le destin de Mário Sacramento est désormais tracé: cet emprisonnement lui donne la haine du régime et la volonté de le combattre. Par ailleurs, il se consacre à des études médicales pour plaire à ses parents qui contrarient ainsi son inclination pour la littérature. Il fréquente la Faculté de Coimbra, puis celle de Porto et participe activement, à cette occasion, à une conférence sur I’enfance, «A criança nas relações com o adulto.»

Intitulée “Une vie d’essayiste”, la deuxième partie suit l’itinéraire de Mário Sacramento entre 1944 et 1958. À la Faculté de Médecine de Lisbonne (1944-1946), il fréquente les cours du Dr Pulido Valente, brillant professeur et opposant notoire au régime. A I’issue de la guerre, Mário Sacramento coordonne la section du “MUD juvénile” dans cette Faculté, devenant le camarade de Mário Soares au sein de ce mouvement. Il épouse en 1944 Cecília Marques da Maia, son ancienne collaboratrice d’A Voz Académica devenue professeur de français, et mène de front sa vie familiale, ses activités politiques et ses études terminées en 1946, année de naissance de son fils aîné.

En 1945, Mário Sacramento commence à forger ses armes comme essayiste avec la publication de l’essai Eça de Queirós, uma Estética da Ironia, couronné à Coimbra par le prix Oliveira Martins, au cours des commémorations du centenaire de la naissance de I’écrivain. En raison de I’amitié qui avait uni la famille Sarmento et le grand-père d’Eça de Queirós, ce grand écrivain de la génération de 1870 avait une place de choix dans le cœur de la famille de Rita Sacramento très tôt, Mário Emílio a aimé ses oeuvres et sa pensée. En outre, cet essai est à mettre en parallèle avec l’avènement du réalisme critique dont les intellectuels débattaient comme moyen d’expression contre la répression et contre les injustices sociales.

La passion du jeune essayiste pour la littérature est toujours aussi vive: de retour à Ílhavo où il a son cabinet et où il vit avec sa famille, Mário Sacramento se rend tous les jours à Aveiro pour animer un café littéraire qui l’aide à supporter le désert culturel de sa province. II commence à écrire des critiques littéraires, certaines sont publiées dans la revue Vértice. Après la naissance de sa fille cadette (1948), Mário Sacramento reprend I’action politique, ce qui lui vaut, en 1953, un deuxième emprisonnement à Caxias (Lisbonne). II met à profit sa réclusion pour réviser ses critiques sur Fernando Pessoa et pour écrire son deuxième essai Fernando Pessoa, Poeta da Hora Absurda qui, après quelques déboires, est publié cinq ans plus tard. Cet essai et e précédent sont un reflet des préoccupations littéraires des intellectuels contemporains de Mário Sacramento. Ces activités sont interrompues en 1955 par deux emprisonnements très pénibles d’une durée d’un an qui sont à I’origine de la naissance d’un enfant mort-né. A sa sortie de Caxias en 1956, I’essayiste poursuit ses analyses d’ouvrages susceptibles d’apporter un éclairage aux positions néo-réalistes.

Son installation avec sa famille à Aveiro lui permet d’organiser le premier Congrès Républicain tenu dans cette ville en 1957. En 1959, il fait aussi publier son premier recueil de critiques intitulé Ensaios de Domingo.

La troisième partie de notre travail est intitulée “Mon métier, mon oeuvre, c’est ma vie”, citation de Montaigne que Mário Sacramento fait figurer en exergue de son journal intime et retrace la vie de I’essayiste de 1958 à mars 1969: rassemblés par thèmes, ses recensions et ses articles suivent I’évolution de la pensée et des convictions de l’essayiste.

En 1960-1961, Mário Sacramento fait un stage d’un an à Paris comme boursier de I’Etat français. II y contracte la tuberculose mais cela ne l’empêche pas d’obtenir le diplôme de gastro-entérologie à I’Hôpital Saint-Antoine. Ce séjour lui fait goûter à la liberté, néanmoins, il ne souhaitait pas s’exiler mais combattre dans son pays. II rentre au Portugal mais sa vie professionnelle et la situation financière de la famille sont à nouveau affectées par un dernier emprisonnement en 1962.

Avant son départ pour Paris, Mário Sacramento avait commencé une collaboration régulière avec Óscar Lopes dans le Supplément Littéraire du journal O Comércio do Porto (1959). A partir de 1966, I’essayiste collabore au Supplément Littéraire hebdomadaire du journal Diário de Lisboa et à la revue Seara Nova. Un nombre considérable d’articles et de recensions de I’essayiste viennent orienter le mouvement Néo-Réaliste qui arrive à sa phase d’épanouissement: la poésie, le théâtre, la littérature des femmes, la littérature pour enfants et celle des pays lusophones, les genres mineurs (contes, chroniques), les romanciers néo-réalistes et la critique littéraire sont les thèmes abordés il s’y ajoute I’esthétique et l’art, la mission de critique ainsi que les textes issus de ses interventions politiques. Ces travaux ont été rassemblés par Cecília Sacramento en deux recueils posthumes: Ensaios de Domingo II (1974) et Ensaios de Domingo III (1990). Encadrant ces recensions, un essai intitulé Fernando Namora a Obra e o Homem (1967) et la brochure Há uma Estética Neo-Realista? (1968) retracent l’itinéraire du Néo-Réalisme, sa genèse et son évolution, et font un inventaire important des auteurs néo­réalistes.

Si, en général, Mário Sacramento choisit les thèmes et les écrivains qu’il préfère, il use d’impartialité et de lucidité dans ses critiques, ce qui parfois lui vaut des inimitiés. Toutefois, le Néo-Réalisme donne généralement le ton à ses recensions qui constituent I’essentiel de son activité littéraire. La censure, que I’essayiste ressent comme une castration, est féroce. Les recensions sont souvent tronquées, et le raisonnement de leur auteur dénaturé. Découragé, il envisage un moment, en 1968, d’abandonner la critique littéraire. Par ailleurs, il subit des déboires dans une profession qui ne lui apporte aucun réconfort.

Pour briser la solitude et fuir le marécage où il se débat, l’essayiste tient pendant deux ans (1967-1969) un “dialogue” avec les catholiques dans le journal Litoral, après le Concile Vatican II. II y affirme et ses convictions issues du matérialisme dialectique et son ouverture au dialogue avec d’autres credos. Ces articles sont rassemblés dans le recueil posthume Frátria, Diálogo com os Católicos ou Talvez Não (1971). II compare sa foi humaniste à la religiosité de son enfance inspirée de sa mère qui professait un catholicisme sincère. Mário Sacramento proclame sa foi dans “l’homme à venir”. En ce sens, I’art, qu’il considère comme le “devenir de l’homme”, est un allié précieux. Dans sa lettre­testament, écrite le 7 avril 1967, deux ans avant sa mort, Mário Sacramento affirme ces mêmes convictions.

lntitulée “L’écrivain égaré”, la quatrième partie présente la création littéraire à laquelle Mário Sacramento s’est consacré depuis son adolescence: le conte, le théâtre et un journal intime.

Si ses pièces de théâtre ont été publiées, il n’en est pas de même pour les contes qui pour la plupart sont restés inédits. Son journal intime rédigé dans les deux dernières années de sa vie, (1967-1969) est enrichi de poèmes et d’un petit conte humoristique. Les fragments de ce Diário (1975) sont un témoignage poignant, adressé aux générations futures, sur trente années de vicissitudes vécues par le diariste et par sa génération soumise à la dictature salazariste. Les événements de I’actualité, le sentiment de l’absurde et les souvenirs les plus douloureux sont rédigés dans un style vivant auquel ne manque pas une touche d’ironie, tandis que e pressentiment de I’approche de sa mort imprègne ce journal intime.

Même si elles ne I’ont pas consacré comme un grand dramaturge, ses pièces de théâtre modernes Na Ante-Câmara de Eça de Queirós (1945) et Teatro Anatómico (1959) sont le témoignage d’un rêve de création qui n’a pu s’épanouir.

Ses premiers contes, empreints de la fraîcheur de I’adolescence, sont une première tentative littéraire réitérée à l’âge adulte. Lors de ses emprisonnements à Caxias en 1953 et 1955, l’essayiste éprouve le besoin de matérialiser sa présence auprès de sa femme et de ses deux jeunes enfants: il écrit des poèmes, des apologues, des contes et des dessins inédits qu’il leur envoie régulièrement. Ces écrits ironiques sont une forme de résistance contre son enfermement e cachet de la censure apposé sur les originaux qui autorisait leur envoi, montre que les geôliers n’étaient pas capables de déchiffrer les messages du détenu contre le régime. Transcrits des originaux, les contes sont insérés dans les annexes du second volume, accompagnés par le fac-simile des dessins.

Partagé entre la littérature et le devoir, Mário Sacramento opte pour le devoir chaque fois qu’il lui est possible de choisir. La proximité de l’art fait partie de son être, il la vit comme une mission à travers la critique dans laquelle il se plonge pendant ses loisirs ou pendant les instants libres entre ses consultations. II se dépense sans compter en colloques, conférences et réunions politiques publiques ou clandestines.

Pour cet essayiste, écrire est I’expression de son insoumission et lui donne le sentiment d’être vivant. Mário Sacramento s’achemine définitivement vers la critique comme moyen d’expression, abandonnant son désir de création pour se consacrer à la littérature qu’il considère comme la vie elle-même. Néanmoins, il regrette de ne pas avoir pu suivre sa vocation d’écrivain. En réalité, il se sent un écrivain contrarié poussé par les circonstances à devenir essayiste s’exprimant dans ses recensions à travers d’autres écrivains dont les ouvrages ont été publiés, il manie I’ironie comme une arme pour dénoncer I’oppression. Toutefois, il nous laisse quelques témoignages de sa création.

Désespéré mais non résigné, Mário Sacramento reprend le chemin des réunions politiques à I’occasion de la maladie de Salazar (1968), dans I’espoir d’œuvrer pour la démocratie. Son action pour la préparation d’un Congrès Républicain à Aveiro, comme autrefois, montre qu’il a mené son combat jusqu’aux derniers instants.

Les multiples hommages posthumes rendus à Mário Sacramento témoignent de ‘estime envers le médecin, I’essayiste et l’humaniste. On fait l’éloge de sa bonhomie naturelle, de sa générosité et de sa grande culture. Nous signalons ces hommages des essayistes et des écrivains à l’intégrité intellectuelle des critiques de Mário Sacramento dans plusieurs ouvrages qui lui ont été dédiés. Cependant, I’essayiste n’a pas cherché les distinctions qu’il réservait aux noms illustres, et il n’attirait I’attention sur lui que pour souligner sa souffrance et son manque de santé.

Nous nous sommes inspirés des articles écrits sur Mário Sacramento lors des commémorations, nous avons consulté des ouvrages et articles de critique littéraire et de théorie de la littérature qui nous ont aidées à réfléchir sur I’évolution de la pensée de l’essayiste dans ses multiples travaux. Nous avons tenté de déchiffrer la vie de l’homme, du médecin et de l’essayiste à travers des témoignages celui Mário Sacramento, celui de ses amis et de ses proches, notamment les éclairages apportés par son épouse et les informations recueillies dans trois volumineux albums inédits constitués par Maria Ivone Sacramento, sa sœur. Ainsi, nous avons pu approcher la vie de Mário Sacramento dont le parcours, comme celui des intellectuels de sa génération, s’est accompli dans un contexte politique national répressif. En ce sens, cette biographie ouvre la voie à des recherches qui se proposeront d’approfondir d’autres aspects de la vie et de l’œuvre de I’essayiste.

Taxé de subversif depuis I’adolescence, Mário Sacramento a tourné le dos à ses origines petites-bourgeoises, il a connu le double enfermement qui menaçait les esprits libres dans e pays et à I’époque où il vivait: la censure et la prison. Toutefois, la littérature lui a permis d’essayer de rester libre et de vivre I’ironie comme vertu dans un contexte qui ne tolérait pas I’exercice de la vérité. C’est pour cela que ses contemporains, même ceux qui étaient en désaccord avec lui, estiment son courage et disent leur admiration pour lui. Dans les annexes, une correspondance active et passive en majorité inédite et un discours de Cecília Sacramento apportent aussi un éclairage sur la vie et l’œuvre de l’essayiste.

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