– Aveiro, la Venise portugaise! – Ces
mots, que j'avais parfois entendus, m’avaient inspiré un vif désir
de voir le port lusitanien qu'on disait rappeler par certains côtés
la reine de l'Adriatique, la fameuse capitale des anciens Doges, que
je connais bien. J'ai satisfait enfin ma curiosité; et je m'empresse
de le déclarer, j'ai été ravi – chose rare – au lieu d'être
désillusionné par ma visite.
En vérité, Aveiro réunit des conditions
naturelles meilleures, peut-être, que Venise. S'il lui manque le
Palais Ducal, les somptueuses résidences du Grand Canal, ces
chefs-d’œuvre d’architecture originale, peuplés de merveilles
artistiques et de romantiques légendes, il a des canaux plus larges,
aux eaux plus limpides. La brise de l'Océan est plus fraîche et plus
pure que celle d'un recoin de la Méditerranée. Il règne, à Aveiro,
quelque chose de vigoureux, de jeune et de sain que l’on ne
rencontre pas au pont du Rialto, ni au pont des Soupirs, ni même au
Lido. Ici, les rives gentiment découpées de nombreux canaux – de
Mira, de San Jacintho, d'Espinheiro, da Cidade -- si elles ne
réfléchissent pas dans l’onde les silhouettes orgueilleuses de
princières demeures, laissent du moins respirer le bien-être, la
force, la joie de vivre; le sel généreux qu'on y recueille circule
aussi dans le sang; au bout de la jetée qui mène à la mer, l'âme,
s'épanouit et s'élève par le spectacle d'horizons majestueux et
infinis.
J’ai goûté un plaisir intime à parcourir
cette honnête et calme cité, voisine de verdoyantes campagnes,
pittoresquement assise au bord de ses canaux qui donnent asile à de
vaillantes embarcations voilières dont la fragilité apparente a osé
braver les longues traversées et affronter los parages redoutés de
Terre-Neuve, tombeau de tant de puissants navires, de tant de
paquebots géants, de tant de villes-flottantes qui semblaient
insubmersibles! Le pêcheur aveirois, robuste et stoïque, confiant
dans son bateau léger, va devant lui, loin, bien loin, jusqu'à la
rencontre…
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…de ce qu'il cherche, là-bas, malgré
vents et marées; et il revient ensuite, chargé de son butin, content
d'alimenter ainsi, au péril de ses jours, le florissant commerce de
sa ville natale, et de pourvoir à l'existence de sa famille. Les
braves gens! Voilà une noble et sympathique population, simple et
tranquille, vivant par le courage et le devoir. Comment ne pas
l'estimer et ne pas l'aimer?
J'ai voyagé dans bien des contrées: en
France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne, où m'ont
appelé souvent les intérêts de ma patrie, plus encore que mes
intérêts personnels. J'ai vu bien des paysages, bien des cités, bien
des races, des costumes et des types divers. J'avoue sincèrement que
nulle part je n'ai éprouvé plus de satisfaction qu’à Aveiro et dans
sa rade si belle. Je ne me suis pas promené sur des plages plus
séduisantes que celle de Costa Nova, modeste par ses villas
champêtres, mais splendide par le panorama qu'on y contemple, par la
poésie dont on s'y pénètre, par les colorations bleues de son ciel,
reflétées dans le miroir mobile et argenté de la ria, que sillonnent
les nacelles blanches dont les voiles semblent des ailes, sous les
envolées et les rondes féeriques de mouettes sans nombre ayant
choisi la Barre d'Aveiro comme séjour de prédilection.
Sans doute, le charme des amitiés que je
suis heureux de posséder dans cette ville si hospitalière, parmi des
personnes dont la distinction n'a d'égale que la modestie, peut
contribuer à l'embellir à mes yeux, Mais il y a un irrésistible
attrait, pour le visiteur étranger, dans l'aspect de ces lagunes, de
ces vieux ponts décoratifs et de ces arcades, de ces jolies
chaussées bien propres, où passent agréablement, avec une allure
décidée et un pas souple, dans leurs châles multicolores et leurs
élégants petits sabots, les gracieuses Tricanas, à la taille svelte,
au visage souriant, au front candide, qui ont une juste réputation
de beauté et de vertu.
Hélas! Tant d'avantages offerts par la
Nature à une terre et à une population si dignes d'intérêt, sont en
partie stérilisés et perdus par le manque des conditions
essentielles au développement du travail, de la production, de la
richesse, tant pour le sol que pour le sous-sol, pour les
exploitations agricoles, que pour les entreprises industrielles et
minières. Pourquoi si peu d'encouragement, d'émulation, d’initiative?
On s'étonne qu'il n'y ait pas de pIus complètes installations dans
un si vaste port, si bien situé géographiquement, et l'un des mieux
abrités qui existent.
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On se demande comment on n'a pas déjà
construit une ligne de tramways à voyageurs et à marchandises,
joignant la gare d'Aveiro d'abord à la Ville, puis à la Barre,
donnant au port une recrudescence d'activité, établissant des
communications faciles et commodes entre beaucoup de villages qui
n'aspirent qu'à prospérer et à grandir. Les terrains étendus, encore
en friche mais fertiles, pour la plupart, de la Gafanha, paraissent
solliciter la main du cultivateur. On pressent, sur ces rivages
privilégiés par le climat, la prochaine éclosion d'une civilisation
heureuse et brillante. De fécondants capitaux feront d'Aveiro un des
ports très fréquentés d'Occident -- j'en émets volontiers l’augure.
Les Portugais et, en particulier, les
habitants de la zone maritime d'Aveiro, out été gâtés par les
trésors que leur a prodigués leur ciel si clément, leur océan si
enchanteur, leur végétation si luxuriante où toutes les essences de
plantes du globe, celles du septentrion comme celles des tropiques,
croissent fraternellement et fleurissent dans un harmonieux
voisinage. Ces fiers riverains de l'Atlantique se sont oubliés
souvent à rêver sur leurs plages; ils ont été les amants de la Mer,
qui leur a rendu leur tendresse, et les a attirés à elle, les a
bercés sur sa gorge ondoyante et lascive, et a porté leurs
glorieuses caravelles jusque vers ses bords les plus lointains, à la
découverte et la conquête de tout un monde!...
Certes, il est doux de dormir, au bruit
caressant dos flots, en évoquant de pareils souvenirs, noyés dans la
magique lueur des songes d’autrefois. Mais l'heure du réveil est
venue. La meilleure manière de rendre un culte aux grandeurs du
passé, c'est de préparer celles de l'avenir.
A l'œuvre donc! Il passe un souffle de
rénovation avec la jeune République. Et je crois être bon prophète,
sous l'influence des impressions, des renseignements et des projets
que m'a procurés ma visite, en prédisant un accroissement et des
progrès aussi rapides que mérités à Aveiro, à son port, et à la
délicieuse région qui l'entoure.
Léo Biron de Villers.
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